Histoire

Tu étais née dans ton petit village d’Ecosse, au sein d’une famille aimante. Tu passas tes huit premières années de vie dans ce village de bord de mer. Ton père originaire de ce pays t’apprit les bases de sa langue tandis que ta mère insistait pour que tu parles couramment le danois. Sans grande surprise tu devins bilingue, rendant ainsi tes parents aussi fiers qu’il était possible de l’être. Surdouée à l’école, tu sautas plusieurs classes que ce soit en primaire ou au lycée.

Puis arrivée à tes seize ans, tes parents décidèrent de retourner au Danemark suite au décès de ton grand-père maternel. Il légua un grand héritage à toute ta famille et ta mère reprit le flambeau en se retrouvant à la tête de l’entreprise familiale. Rapidement vous fîtes fortune dans cette nouvelle ville d’Aarhus et tout changea pour toi.


Te voilà âgée de dix-sept ans. Comme tous les adolescents de ton âge tu quittas ta maison en vitesse pour te rendre à l’école. Les cheveux en bataille autour de ton visage aux traits encore endormis, tu enfilas ton sac à dos tout en laissant tes pieds écraser le bitume rapidement. Ton estomac cria famine alors que tu grimpais dans le premier bus que tu vis, le conducteur se retint de rire et tu le foudroyas du regard. Chaque matin c’était la même scène, ton réveil sonnait toujours avec dix minutes et quarante-six secondes de retard. Tu ne prenais pas le temps de déjeuner, la bonne tentait tout de même de te faire avaler un croissant mais tu t’enfuyais toujours avant qu’elle ne puisse dire ‘ouf’.

Tu en voulais un peu à tes parents, ils avaient chacun leur propre voiture et s’ils n’étaient pas aussi occupés ils pourraient sûrement t’emmener à l’heure. Mais non, la vie n’allait jamais et n’ira jamais dans le sens que tu voudrais. Alors tu soupiras, décidée à faire passer le temps plus vite tu sortis tes cours de ton sac et t’appuyas contre une vitre avant de te mettre à réviser. Contrairement aux autres jeunes de ton âge tu n’allais pas au lycée mais bien à l’université. Tu avais obtenu ton bac à l’âge de quinze ans et cette année tu passerais ton examen afin d’être admise en troisième année.

Plus loin tu entendis quelques rires. Une bande de lycéennes plus âgées que toi riaient en te fixant, tu commençais à croire que tu avais le pouvoir du rire mais tu suivis leur regard jusqu’à ton pantalon. Ou plutôt ton bas de pyjama. Bleu ciel agrémenté de nuages et de canards jaune. Décidément, ce n’était vraiment pas ta journée.

Tu levas les yeux au ciel puis te préparas à descendre quand le bus s’arrêta devant ton école. Tu passas devant le groupe de filles et te figeas quelques instants pour les dévisager. Peinturlurées de toutes parts, tu savais quand passant ton doigt sur leur visage il serait recouvert d’une épaisse couche de fond de teint.


Tu n’attendis pas leur réaction en entendant la sonnerie de l’université retentir. Tu te remise alors à courir. Une fois arrivée à l’intérieur, tu troquas ton  pyjama pour un jogging et t’empressas de rejoindre ta salle. Comme toujours, tu fus accueillie par une foule de gens. Des ‘tu vas bien ?’ fusaient de toutes parts mêlés aux ‘c’est mignon ce que tu portes, j’adore tes cheveux !’. Un sourire hypocrite à chacun et hop, ils étaient tous aux anges. Tu soupiras une fois de plus.

Si tu n’aimais pas cette popularité c’était bien pour une chose – ils ne t’aimaient pas. Dans les toilettes, tu les entendais murmurer des méchancetés à ton sujet. Dans les couloirs, ils prenaient plaisir à faire passer d’horribles rumeurs te concernant. Tous ces accueils n’étaient qu’une mise en scène grotesque qu’ils avaient concoctée dans l’espoir de profiter de la richesse de ta famille. Quand tu avais le dos tourné, on t’appelait ‘la richarde’, ‘la privilégiée’. Et malgré tout, tu gardais le silence, tu te contentais de les laisser faire tout en te jurant de leur faire regretter un jour ou l’autre.

Tu t’étais levée tôt aujourd’hui, pour rien au monde tu voulais arriver en retard, ce jour était bien trop important pour toi. Ton premier jour de travail en tant que journaliste accomplie. Tu voulais que tout se passe bien, que ton apparence soit irréprochable, que tes futurs collègues soient sympathiques, que tout soit parfait en quelques sortes.

Mais non. Rien ne se passa comme ça. A peine ton réveil eut sonné que la fatigue t’emprisonna dans ses bras. Le temps défilait alors que les draps chauds te tenaient prisonnière dans de doux songes. Ce fut la sonnerie de ton portable qui te tira de tes rêves. Tu sursautas et cherchas aussitôt le réveil du regard. 10h03. Tu devais y être pour neuf heure pile. Tu te mis à paniquer et attrapas rapidement ton portable. Le chef de rédaction.


Tu t’attendais à l’entendre crier au bout du fil mais il ne fit rien de cela. Se contentant de te dire de te dépêcher et par la même occasion de lui acheter une boîte de muffins. Tu raccrochas, à la fois agacée et soulagée. Tu n’aimais pas vraiment faire les petites courses des autres, mais avais-tu vraiment le choix ? Alors tu t’empressas de t’habiller et de te coiffer avant de quitter ton appartement en trombe. En quelques secondes tu te retrouvais dans ta petite Twingo jaune fluo en route pour une pâtisserie non loin des bureaux. Tu en profitas pour acheter ton petit-déjeuner puis repartis à toute vitesse vers ton lieu de travail.

Tu déboulas dans le bureau de ton patron à bout de souffle, bien sûr l’ascenseur devait être en panne ce jour-là. A croire que le destin aimait bien se foutre de toi.




Sa voix devenait tremblante au fil des paroles, sa respiration saccadée, ses yeux larmoyants, son souffle court, sa peau pâle. Et pourtant aucun signe ne prouvait qu’elle avait peur. Elle était simplement triste de te laisser seule. Un léger sourire accroché sur les lèvres, elle serra ta main agitée entre ses doigts affaiblis.


Elle secoua sa tête de droite à gauche en signe de désapprobation. Tes sanglots redoublaient d’intensité car tu savais. Tu n’entendrais plus jamais ces mots chantés par sa douce voix. Elle ne te conterait plus jamais d’histoires la nuit. Vous ne partagerez plus jamais de moments ensemble. Tout était fini. Les longues heures passées dans son cabinet de voyance s’éteignaient avec elle. Tu te sentais si inutile, si faible que tu en vins à te détester. Tu te haïssais de ne pas être capable de la garder près de toi.


Tu voulais lui crier que si. Qu’elle mourrait et que tout était terminé mais tu ne fis rien. Tu te contentas de fixer tes doigts recouverts de sang tandis que tu appuyais sur sa blessure pour tenter de stopper l’hémorragie. Et tu continuais de pleurer, comme une gamine de cinq ans tu ne savais comment arrêter tes larmes. Tu ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par ‘ce n’est pas un adieu’. Tu voulais lui demander des explications, savoir ce que cela signifiait mais tu ne trouvas pas la force d’aligner tes mots. Sa main ensanglantée se posa sur ta joue salie par le souffre et les larmes.


Son bras retomba mollement sur le bitume imbibé de sang, sous tes mains son buste cessa de se soulever. Au loin les sirènes de la police commençaient à se faire entendre. La chose responsable de sa mort s’était déjà enfui, il n’y avait plus rien à faire. Alors tu crias, encore et encore, jusqu’à t’en déchirer les entrailles. Tu frappas la terre de toutes tes forces, qu’importe si tes os se brisent car quelque chose de plus important venait de s’éteindre en toi en même temps que son souffle s’était envolé. Tu essuyas maladroitement tes mains sur tes jambes avant de fermer à jamais les paupières de ta tante.



Ils l’emportent loin de toi. Allongée dans son cercueil, entourée de voiles blancs et de roses, elle ressemble à un ange. Les gens se mettent à suivre le cortège mais toi, tu restes plantée là à l’observer s’éloigner de plus en plus. Tu sens ton esprit s’éparpiller, tu repenses à ses dernières paroles. Au Mal. Tes mains tremblent, tu as peur car tu sais. Tu sens que quelque chose d’étrange court entre ces rues. Se tapissant dans l’ombre jusqu’à l’arrivée d’une faible vie, ces monstres vivent autour de toi. Tante Judith en avait déjà fait allusion dans ses visions mais tu n’y croyais pas vraiment. Puis les rumeurs se sont intensifiées dans ton entourage. Pertes de mémoires, disparitions, morsures, morts. Tout cela ne cesse de prendre de l’ampleur. Les légendes que l’on te comptait enfant semblent devenir réelles aujourd’hui. Tu crains ces créatures malveillantes et pourtant te voilà décidée à les traquer jusqu’à trouver la possibilité de dévoiler leur existence au grand jour.