Histoire

   L’instabilité n’est généralement pas un caractère prédéfini. Il se développe au cours des années et des évènements. Auparavant, Svein était un jeune garçon calme, tranquille. Fils unique de ce qui semblait être la famille parfaite. Il était bon à l’école, ses parents vivaient confortablement, et tout le monde les connaissait dans leur petite communauté. En bref, une enfance calme et sans encombre, malgré son énergie débordante qui l'animait. Cette vivacité, il l’a dépensait dehors, dans le grand jardin des Skovgaard avec son père. Ah, son paternel. Croyez-le ou non, Svein l’avait aimé. Quand il était toujours cet homme absorbé par le travail, mais toujours présent pour une partie de football ou pour l’emmener pêcher. Pas quand s’était révélé être un enfoiré, amoureux de deux femmes. Svein ne l’avait jamais blâmé pour être tombé pour ça. Nan, il l’avait blâmé pour avoir menti à sa mère, pour lui avoir couvert  cette autre vie et d’avoir fait de ses absences des excuses professionnelles. En revanche, les deux femmes de sa vie, elles, l’avaient blâmé pour sa tromperie. Si bien qu’aucune n’était parvenue à lui pardonner, ou à pardonner à sa progéniture. Déjà trop âgé pour véritablement s’en soucier, Svein s’était tout de même inquiété pour l’autre conséquence. Une petite sœur. Il avait une petite sœur depuis tant d’années, et il ne l’avait jamais su jusqu’à maintenant.

La séparation de leurs parents leur avait couté cher. Ça avait été difficile pour Svein de voir sa mère s’éloigner, lui jeter des regards dégoûtés, lui cracher qu’il ressemblait à son père et qu’elle ne voulait plus jamais le voir. D’un côté un père traitre, de l’autre une mère rédhibitoire à sa présence. Mais ça devait être encore plus difficile pour l’enfant qu’on laissait derrière. Une gamine d’à peine 8 ans, comprenant à peine ce qui se passait autour d’elle. Avec le temps, rendre visite à son père et Asløg était devenu une habitude pour Svein, qui débutait sa carrière de banquier. Il avait vu son vieux décrépir à cause de la séparation. Perdre un être cher devait être difficile, mais deux… Svein pouvait concevoir cette douleur, même si ce n’était que punition juste pour avoir menti et trompé. Déprimé, il s’était laissé glisser sur la pente de l’alcoolisme. Classique, peut-être un peu cliché. Dans tous les cas, alcool et perte de contrôle ne faisaient généralement pas bon ménage. Et malheureusement pour le vieil homme, Svein avait été témoin de ce cocktail. Lors d’une de ses visites habituelles, il avait surpris son père à lever sa main sur Asløg, déjà à terre et rouée de coups. Son sang n’avait fait qu’un tour, et il s’était jeté sur son père comme un chien fou. Peut-être que si la table avait été décalée de quelques centimètres, peut-être que si son père était tombé d’une façon différente, alors peut-être serait-il toujours en vie. Mais dans ce cas-là, le Svein actuel n’aurait jamais existé. Et l’histoire aurait été moins drôle. Que l’on ne s’y trompe pas ; Svein avait regretté son geste abrupte, impulsif. Mais il avait bien trop pris son pied pour y penser autrement que comme un accomplissement personnel. Il avait terrassé la cause de tous leurs problèmes. Quelle fierté il avait ressenti. Même en enterrant le corps avec sa sœur dans leur immense jardin, ce sourire ne l’avait pas quitté. Et c'était là que ça c'était déclenché. Ces moments mi-conscient, où il perdait le contrôle et sentait gratter un instinct plus primaire, animal. Dieu, qu'il adorait lui laisser le contrôle.

Après cet évènement, la complicité déjà présente entre les deux frangins devint plus profonde. Majeur, il se proposa pour obtenir la garde d’Asløg après la « disparition » de leur paternel ; chose que le juge lui accorda en raccord avec la mauvaise volonté de la mère et avec ses revenus mensuels en tant que banquier. Vivre ensemble, voir grandir sa demi-sœur, et surtout partager le plus terrible des secrets … Aucune autre relation n'aurait pu y survivre. Mais la leur était tellement dérangée, malsaine, étrange, que rien n’aurait pu les séparer. Leur grande différence d’âge attirait les regards. « Est-ce sa femme ? Est-ce sa fille ? ». Parfois, Svein s’amusait de cette ambiguïté. Ils se faisaient passer pour un couple, parfois pour un père et sa fille, parfois pour un curieux duo. Rien ne semblait les mettre mal à l’aise et ils acceptaient les commentaires et questions avec une malice partagée.

Une promotion et un transfert plus tard, Svein se retrouvait directeur d’agence bancaire à Aarhus. Il était bon dans ce qu’il faisait, alors ce n’était pas une grande surprise. Bien sûr, sa sœur vint habiter avec lui, inséparables qu’ils étaient. Et derrière eux, ils laissaient leurs sales secrets enterrés dans le jardin.