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 L'équilibre.

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MessageSujet: L'équilibre.   L'équilibre. EmptySam 16 Mai - 14:51



Lincoln Arroa

Sois plus fort que les ténèbres, plus fort que la mort, plus fort que la vie.
⊹ ⊹ ⊹ ⊹ ⊹ ⊹

Histoire

C'était la peur qui m'avait fait devenir berserker. Une trouille abominable, du genre de celles qui vous mouillent les chausses. J'ai eu peur jusqu'au jour où j'ai décidé de ne plus avoir peur. Et j'y suis parvenu.
Évidemment, les choses sont loin d'être aussi simples.

Je me souviens trop nettement de mon enfance. Les détails reposent, vifs et prégnants, dans le fond de mon esprit. J'aimerais pouvoir me laver de cette infection. Mais comme tous les traumatismes que j'ai vécus, je suis incapable de les oublier.
Je me souviens très bien de ces jours où j'entendais mes parents crier. Ils se suivaient sans aucune régularité, ce qui les rendait d'autant plus effrayants, car j'étais incapable d'en prévenir leur arrivée. Ils me tombaient dessus quand je m'y attendais le moins, ou quand je les craignais le plus. Lorsque je poussais la porte pour rentrer chez moi après l'école, je n'étais jamais sûr de ce que j'allais y trouver. La plupart du temps, la maison était paisible, et ma mère préparait le repas du soir dans la cuisine, en sifflotant une étrange petite berceuse qui, aujourd'hui encore, a le don de me mettre en colère. Mais certains jours, les choses ne se passaient pas comme je l'avais prévu. J'entendais déjà les cris avant même de pousser la porte. Je savais déjà que c'était en train de se dérouler. Ils s'étaient réunis dans la cuisine, porte fermée pour m'empêcher d'entrer, et ils criaient des horreurs que mon esprit ne comprenait pas vraiment. Des mots trop vulgaires pour être employés devant un enfant, des discussions portant sur des sujets qui n'avaient jamais été abordés avec moi, et des noms, surtout, des noms d'hommes et de femmes que je n'avais jamais vus. Aujourd'hui encore, lorsque je croise une personne portant un de ces noms, j'ai toujours un temps d'arrêt. Je me demande toujours s'ils étaient ceux dont mes parents parlaient à l'époque. J'en doute. Parce que je ne comprenais pas, que je ne pouvais pas entrer dans la cuisine et que j'allais mourir de faim en attendant le dîner, j'avais l'habitude de dire « C'est moi, je suis rentré » pour leur signaler ma présence. M'ont-ils un jour entendu ? Ça, j'aimerais bien le savoir.
Je m'installais dans ma chambre en attendant que l'un d'eux vînt me dire de redescendre. Cela finissait toujours par arriver, généralement avant minuit. C'était toujours ma mère qui arrivait. Elle avait les joues rouges d'avoir trop crié. Son visage s'adoucissait lorsqu'elle me voyait, bien sage, assis à mon bureau ou par terre avec mes jouets. « Tu as été bien sage ? » me demandait-elle tout le temps. Je me contentais de hocher la tête ; un jour, elle s'était énervée, je n'avais pas compris pourquoi. Ma réponse la soulageait de sa tension, et elle se mettait à pleurer, répétant sans cesse « c'est ton père » et essayant de m'expliquer ce qui s'était passé avec des termes si incompréhensibles que je la regardais toujours d'un regard vide. C'est ça qui énerve les gens, mon regard vide. Ils ont l'impression que je les regarde comme si je ne me sentais pas vraiment appartenir à ce monde. Mais ma mère n'en avait jamais été dérangée, au contraire.
Ensuite, elle et moi allions manger. Je ne voyais jamais mon père : elle me disait qu'il était sorti et qu'il rentrerait quand il serait calmé. Mais où était-il, en fait ? Je ne le découvrirais jamais. Si le repas n'était pas prêt et qu'il était trop tard, ma mère me disait de grignoter avant d'aller me coucher. Il ne m'était jamais venu à l'esprit de questionner ses ordres. Les adultes avaient toujours raison.
Je n'étais pas maltraité, bien sûr. Et je n'ai jamais dit que j'avais eu une enfance malheureuse. Bien au contraire. Mes parents étaient plutôt aisés, sans être riches, et je ne pouvais pas me plaindre de manquer de quelque chose. Personne n'avait l'air de trouver ma famille étrange, et quand je parlais des engueulades de mes parents, les autres trouvaient cela presque normal, car les parents se disputaient tout le temps. Très tôt, j'ai donc appris qu'il fallait faire des concessions et qu'on ne pouvait jamais mettre tout le monde d'accord. L'expérience était formatrice, en quelque sorte. Je n'aimais peut-être pas ce qui arrivait à la maison, mais je pensais que c'était la norme. Je n'avais aucune raison de remettre en cause ce fait.

Évidemment, tout a dérapé. C'est là que j'ai connu la peur, et qu'elle n'a plus voulu me quitter. La situation ne pouvait pas tenir indéfiniment. Un jour, tout a explosé, et le monde que je connaissais a volé en éclats. J'avais onze ans, je crois, peut-être douze. On se dit qu'on devrait retenir ce genre de détail, d'autant plus que ma mémoire est très précise pour ce genre de souvenir, mais je l'ai tout simplement oublié. J'estime que je devais avoir cet âge-là. Mais cette information ne m'a jamais paru vraiment importante, en comparaison de ce que j'ai vécu.
Une nouvelle soirée d'engueulade avait débuté. J'étais un peu plus grand, donc je pouvais commencer à être excédé par tout ce que j'entendais. Les éclats de voix étaient un peu plus forts que d'habitude, mais j'avais appris à me concentrer malgré eux. Je dessinais avec application, car le dessin était ma toute nouvelle lubie. J'avais envie de coucher sur le papier les idées fantastiques qui me passaient par la tête, et je me trouvais très bon dans le domaine, alors que ce que je produisais était, vraiment, d'un niveau médiocre. Cette jolie petite lune se colorait d'un tendre jaune poussin comme s'il s'agissait du soleil, mais j'étais persuadé d'être le meilleur artiste à avoir jamais réussi à représenté l'astre nocturne. Je l'admirais à l'éclat de ma lampe quand des bruits sourds se firent entendre. J'y prêtais vaguement attention, comme s'il s'agissait d'un orchestre spécialement conçu pour m'accompagner. Puis le bruit s'arrêta, et j'entendis la porte s'ouvrir. Ah, tiens, ils ont fini, pensai-je immédiatement. Il était encore tôt, pour une fois.
Mais personne ne monta. Les voisins sonnaient à la porte, alertés par le vacarme. Ou peut-être était-ce une simple visite de courtoisie. La sonnerie retentit de nouveau avant que des pas ne se dirigeassent vers la porte. Un cri, porté par une gorge féminine, troubla la quiétude des lieux, et je commençais à comprendre que quelque chose de grave s'était passé. J'hésitais quelques instants avant de m'approcher, tremblant, de la porte. Je commençais à l'entrouvrir... et sursautai lorsque je vis le visage affolé de ma voisine plonger vers moi lorsqu'elle me sera dans les bras. Elle murmura des bêtises comme « tu es en vie, tu es vivant », et je me disais qu'elle était vraiment simple d'esprit pour ne jamais l'avoir remarqué avant. Elle me serra si fort que je commençais à suffoquer, j'eus beau lui dire de me lâcher, elle ne voulut pas m'entendre. Elle me serrait comme si j'étais la seule bouée capable de l'aider à maintenir la tête hors de l'eau. Je devins violent et je la poussai pour me libérer. Je ne voulais pas être méchant : j'étais seulement complètement paumé et j'avais peur, oh oui, j'avais vraiment peur. Je tremblais, et je faisais vraiment tous les efforts possibles pour contenir des larmes dont j'ignorais tout de la raison d'être. Mais même enfant, on se rend compte quand quelque chose de grave se produit. Ça flotte dans l'air.
Ma voisine se calme et sécha ses larmes, puis elle referma la porte de ma chambre, en me disant qu'on allait rester là le temps... elle n'acheva pas sa phrase, car ce qu'elle aurait dû lui semblait encore trop surréaliste pour pouvoir y croire. C'était une adulte, donc je la croyais. Pour m'occuper, elle pensa que me faire parler serait une bonne idée. Elle avait sans doute besoin de la naïveté de mes paroles d'enfant pour surmonter le choc. Elle m'occupa ainsi jusqu'à dix heures du soir, à me demander ce que je faisais quand j'avais été interrompu, à vouloir voir tous mes dessins, à me poser mille et une questions sur mes jouets préférés.
Nous entendîmes tous les deux les pas monter l'escalier, et elle comprit qu'il était l'heure de me quitter. Je ne sais pas si elle avait l'air soulagée ou triste, tant ses sentiments étaient mélangés. Je pris mon courage à deux mains et lui lançai un regard résolu d'adulte, pour lui faire comprendre que tout irait bien. Son sourire triste me marqua. Même si je prétendais être fort, elle savait très bien que j'allais être terrassé par la nouvelle que j'apprendrais.
« Bonsoir, Lincoln. » me salua une voix étonnamment grave et chaude, qui me plut d'emblée. Je levai les yeux sur cet homme grand et corpulent qui venait d'entrer dans ma chambre. Une moustache brune attira immédiatement mon regard : sa couleur était si profonde et chaleureux, alors que ses cheveux, qui commençaient à se faire rares, se mêlaient déjà de gris. Il devait avoir une petite quarantaine d'années, pas plus, mais j'étais fasciné par cet être qui me paraissait si irréel. Il se mit à mon niveau pour me parler :
« Toutes mes condoléances, mon garçon.
- Con... condoléances ? répétai-je. Condoléances ? »
J'ignorais ce que ce mot signifiait. Je n'avais visiblement pas l'air de comprendre, si bien que le monsieur m'expliqua que l'on employait ce terme lorsque quelqu'un venait de perdre un être cher. La compréhension me frappa d'un coup, violente et cruelle, alors que, et je m'en rendais bien compte, j'avais su pendant tout ce temps exactement ce qui s'était passé.
Je vous épargne mes larmes et tout le rituel pitoyable qui suivit.
« Je... je le savais... réussis-je néanmoins à articuler. Je savais qu'un jour, mon père allait tuer ma mère... »
Le policier eut l'air vraiment étonné, comme s'il ne s'attendait pas du tout à cette réponse. Il eut l'air vraiment gêné quand il me répondit :
« Ton père ? Mais c'est ta mère qui a tué ton père, Lincoln. Elle l'a battu, et il n'a pas survécu à ses blessures. »
Comment avais-je pu passer à côté de cette vérité si essentielle ? Comment avais-je pu me tromper à ce point sur mes parents ? Je perdis pied avec la réalité et... non, en fait, je n'ai pas envie d'en parler.

J'ai toujours eu peur de ma mère suite à ce drame. Même lorsqu'elle m'appelle, j'ai peur d'elle. Je refuse de la voir sous le moindre prétexte. Je tremblerais en me recroquevillant sur moi-même. Et personne n'aimerait avoir cette image de lui-même.
Les conséquences d'un meurtre sont tout d'abord pratiques. Dans mon cas, bien sûr, il a fallu trouver quelqu'un pour me loger. J'ai passé la nuit chez mes voisins avant de trouver refuge chez ma grand-mère maternelle, qui était bien sûr désolée. Elle me gâtait pour faire passer la pilule, et aussi parce qu'elle culpabilisait d'avoir engendré un monstre.
Vous voulez que je vous dise ce que j'ai trouvé le plus choquant dans toute cette affaire ? Ma mère n'a presque pas fait de prison. Son avocat s'est admirablement débrouillé pour faire croire au juge qu'elle n'avait fait que se défendre. Mes paroles face au policier lorsqu'il m'avait annoncé la nouvelle avaient contribué à faire sa défense. C'est ridicule, n'est-ce pas ? On ne devrait pas se fier aux paroles d'un enfant déboussolé. Mais un adage dit que la vérité sort de la bouche des enfants, et beaucoup de personnes y croient encore.
Suite à ces événements, ma grand-mère maternelle récupéra ma garde. Ce fut une bonne chose pour moi, mais j'étais complètement perdu. J'ai donc parfois mal agi pendant mon adolescence. Je le regrette un peu.
Car j'avais peur, cette trouille immense dont je vous parlais plus haut. J'étais tout simplement incapable de faire confiance à quiconque. Je me méfiais tout particulièrement de ma grand-mère. Dès qu'elle haussait un peu la voix, je me mettais soudain à fondre en larmes, sans qu'elle pût me consoler, car je hurlais si elle m'approchait. « Mon pauvre enfant, c'est à cause de ta mère... » finissait-elle par dire avant d'abandonner ses efforts. Car malheureusement, plus je me rapprochais d'une personne, plus je me méfiais d'elle.
Le climat, à Aarhus, n'était pas fait pour m'aider, car on entendait très souvent parler de morts étranges. À partir de cet instant, je commençais à m'y intéresser de plus près, même si cela ne faisait qu'augmenter encore ma peur.
Toutes mes peurs n'étaient pas le fruit de mon imagination. Elles étaient parfois bien réelles, trop réelles à mon goût. C'est à ce moment-là que j'ai commencé... à basculer. À sombrer dans la terreur sans nom qui m'a caractérisé pendant des années. J'étais une loque, un moins que rien. Je me traînais dans le monde comme un fantôme transparent. D'aucuns disent qu'aujourd'hui je suis froid et distant, mais ils se trompent. Je suis chaud comme le soleil et doux comme un mouton. Mais à l'époque, j'étais trop terrifié pour être autre chose... qu'une chose. Je regardais le monde de loin, juste parce que j'avais trop peur de ce que je risquais d'y voir.
Tout a commencé quand il s'est mis en tête de me suivre. Peut-être me suivait-il d'ailleurs avant que je m'en rendisse compte. Un soir, je m'étais tout simplement aperçu de sa présence dans mon dos. J'accélérai, et il faisait de même. Je ralentissais, et il m'imitait. Il tournait à gauche quand j'allais à gauche, à droite quand je préférais cette direction, mais il maintenait toujours la même distance entre lui et moi. Il se contentait de me regarder. Il me cachait son visage, mais j'imaginais sans cesse le sourire pervers qu'il devait faire en me voyant. Je n'arrêtais pas de me demander ce qu'il voulait, et j'imaginais toujours les pires hypothèses. Il allait me tuer. Me torturer. M'infliger des supplices qui dépassaient mon imagination. Je ne m'étais jamais dit qu'il voulait m'avoir à l'usure ; c'était un tort, car c'était exactement ce qu'il voulait. Il se nourrissait du malheur des autres.
C'était un doppelgänger. Un doppelgänger léger, capable encore de se contrôler, mais j'avais conscience qu'un jour il basculerait dans la folie... et j'en ferais les frais.
« Arrêtez de me suivre ! » criai-je. Il resta à égale distance de moi. La cachette qu'il s'était trouvée n'était pas meilleure que les autres : derrière la barrière, je voyais son pied dépasser distinctement. Cet immense pied me terrifiait encore plus que son visage. S'il le voulait, il pourrait très certainement m'écraser avec.
Son comportement m'énervait. Je n'avais pas l'intention d'être une victime toute ma vie : j'avais donc décidé de lui faire face. Rassembler mon courage à deux mains m'avait énormément coûté, mais je sentais que c'était nécessaire. Je n'étais plus un enfant : j'avais treize ans, ou pas loin, je devais donc me comporter en adulte. En homme. Je n'étais cependant pas préparé à affronter un grand homme pervers qui me dépassait largement et qui aurait pu me broyer les os sans effort. Son ricanement me terrifia au plus profond de mon âme, et je fus à deux doigts de courir pour me réfugier dans les jupes de ma mère... ce qui, connaissant ma mère, prouvait bien à quel point j'avais peur. Son ricanement fut trop long à mon goût, mais le pire se produisit : il décida de sortir de sa cachette et de me montrer son visage. C'en était trop pour moi : je m'enfuis, sans prendre la peine de me demander si j'étais un lâche ou non.
Et vous savez quoi ? Je n'en éprouve aucune honte. Ce malade m'aurait tué si je l'avais laissé faire. Il n'y a pas de mal à éviter les adversaires qu'on ne peut pas affronter.

Je courrais comme une gazelle pour pouvoir l'éviter. Je me faisais accompagner, j'effectuais de grands détours, et j'envisageais même de révéler ma situation à un adulte de qui je me méfierais moins que d'ordinaire. Cela n'aurait pas été facile : on disait de moi que j'étais un étrange gamin. Pas forcément mauvais, cela dit : personne ne disait cela de moi. Mais il y avait en moi... une part de malice, ou en tout cas, quelque chose de pas très sain que les adultes préféraient éviter. « C'est comme si tu étais ce genre de personne capable d'égorger un chat pour son propre plaisir » m'avoua un jour très honnêtement une amie. Évidemment, je n'en croyais pas un mot : je n'aurais jamais fait de mal à quiconque, pas même à un animal aussi adorable qu'un chat. Je reconnais que je n'avais jamais porté ces bêtes dans mon cœur, mais de là à vouloir leur mort...
D'ailleurs, au bout de deux ans, l'homme disparut tout simplement de la circulation. Avait-il été arrêté par la police ? Ou la face cachée d'Aarhus était-elle venue à bout de cet affreux personnage ? Honnêtement, j'espère qu'il est mort, car il ne mérite que cela. Vous savez, ce n'est pas mal de vouloir la mort d'une personne qui le mérite. C'est hypocrite de dire que la vie est trop précieuse pour souhaiter la mort à quelqu'un, alors que la vie de cette personne cause la mort de tant d'autres. Je ne serai jamais hypocrite, et je dirai toujours la vérité, tout comme ce que je raconte en ce moment est vrai. On ne peut plus vrai.
À quinze ou seize ans, ma vie était enfin devenue tranquille. Ou pas. Ma mère commençait à me tourner à nouveau autour, et je trouvais cela très désagréable. Elle avait l'interdiction formelle de m'approcher, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir des idées astucieuses pour s'approcher de moi, si ce n'est physiquement, du moins virtuellement. Ses coups de téléphone incessants me donnaient de cauchemars : elle était capable de m'appeler toute la nuit si je daignais ne pas lui répondre. Cela me rendait malade : elle était capable de se faire du mal simplement pour me nuire. Elle avait trouvé une autre méthode d'harcèlement particulièrement efficace : elle me suivait partout dans les lieux publics, sans jamais s'approcher trop de moi. Elle se mettait juste à la bonne distance pour pouvoir se faire entendre de moi. Son comportement était vraiment agaçant, et je lui en voulais de m'infliger cette torture.
Ma grand-mère également était affectée par son retour dans ma vie, et pas dans le bon sens du terme. Elle éprouvait un sentiment de peur très vif à mon sujet et refusait de me lâcher la bride. Elle ne voulait pas que je sortisse de chez moi si je n'en avais pas strictement besoin, ou bien elle me serrait dans ses bras jusqu'à m'étouffer. J'étais stupide : je ne faisais rien pour la rassurer. D'abord, parce que mes paroles étaient vraiment insouciantes. Je lui assurerais que j'irais bien et que j'étais capable de faire face à tout danger alors que j'étais parfaitement conscient de mes limites... mais il était plus facile de faire comme si elles n'existaient pas. Ensuite, parce que j'avais vraiment de mauvaises fréquentations. Dans la vie, il y a les leaders, et puis il y a les autres. Moi, je faisais partie des autres, de ces suiveurs qui se sentent fort lorsqu'ils accomplissent les ordres d'un autre. Je n'étais pas exactement un délinquant. Je ne serais jamais allé jusque là. Mais je n'étais pas tout blanc. Il m'est arrêté de molester quelques... personnes, à la sortie de l'école. Rien de bien méchant : quelques yeux au beurre noir, peut-être une fracture ou deux, mais je n'ai jamais tué ou racketté quiconque. Néanmoins, ce peu suffisait à l'effrayer.

C'était si désagréable. J'aimais me mordre l'intérieur de la bouche pour sentir le goût du sang sur ma langue. Je ne me rendais pas compte, mais à l'époque, j'avais déjà commencé à changer. Je n'étais plus totalement humain depuis bien longtemps.
J'aime me dire que j'ai plongé en enfer de mon plein gré. Très honnêtement, c'est une formulation élégante, n'est-ce pas ? La vérité, c'est que je suis si heureux de ma condition actuelle que je ne pourrais pas me plaindre de certaines choses que j'ai pu faire. Parce qu'en fait, la vérité... c'est que j'ignore totalement ce qui me rend si heureux. Je ne sais pas que je suis un berserker, que mon animal-totem est l'éléphant, et que par conséquent, je suis doté d'une force phénoménale lorsque je rentre en transe.
Seul problème ? Je ne me souviens jamais de mes transes, ni des événements qui les précèdent ou les suivent. Je ne me rends même pas compte que j'ai oublié quelque chose. Tout me paraît si normal. Mais je sais que quelque chose a changé. Je n'ai plus peur. Je me sens fort et puissant. Et cela suffit à me rendre heureux.

En fait, même si je ne m'en souviens pas, ma toute première métamorphose complète en berserker a lieu quand j'avais dix-neuf ans environ. La scène se déroula en pleine journée, car la nuit ne recèle pas tous les mystères du monde. Je sifflais tranquillement en rentrant chez moi, lorsque je fus percuté par une voiture. Comme ça, subitement. Il y a des personnes qui ont vraiment la poisse. Je valsais dans les airs avant de retomber lourdement sur le sol. Plus lourdement que je ne l'aurais dû, car ma métamorphose était déjà complète, et que je venais de gagner en poids. Le conducteur, sous le choc, voulut accélérer, mais j'étais en colère et j'étais bien décidé à ne pas laisser ce méfait impuni. Je grognai plus que je ne dis au conducteur de s'arrêter, et ma force surhumaine me permit d'arrêter la voiture. Je la réduisis méthodiquement en bouillie, et son occupant n'en réchappa qu'à grand peine. Ce travail minutieux de carnage me calma, et quelques minutes plus tard, je repris tranquillement ma route, inconscient de ce que je venais de faire. Sous ma forme de berserker, fracasser une voiture ne me faisait pas plus mal que si je froissais une feuille de papier dans ma main humaine.
Je me métamorphosais peu souvent en berserker, car je n'étais pas aussi bestial que ce que notre nature laissait supposer. Le sentiment grisant de puissance me rendait si calme et lucide que je pouvais me permettre de regarder le monde de haut. Un monde auquel je n'appartenais plus vraiment, malgré mon inconscience.
Je progressai à travers les années sans savoir. Mon caractère hautain, presque arrogant, m'attirait très souvent des ennuis, qui se manifestaient sous la forme primaire de bagarres. Le lycée où j'étudiais n'était pas connu pour être un repaire de petits anges, mais de petits chefs, chacun revendiquant sa part de territoire et cherchant à l'agrandir dans la mesure du possible. Les os cassés et les nez qui saignent étaient monnaie courante chez nous. C'est dans cet univers violent que je m'épanouissais. Après avoir commencé ma carrière lycéenne comme un souffre-douleur pour les autres, je passai rapidement aux choses sérieuses lorsque ma nature s'éveilla. Je ne devins pas un petit chef, non. Ce n'était pas mon genre : j'étais le suiveur. C'est ainsi que je commençai à molester les pauvres enfants qui avaient le malheur de croiser ma route. Je ne le faisais pas pour moi, mais pour un petit bouseux qui s'appelait Tsuan. Ou du moins, qui se faisait appeler Tsuan, puisque son véritable prénom n'était pas assez élégant pour un type dans son genre. Moi, j'étais Masquerade, le gars un peu louche qui aimait bien venir cogner sur les autres, mais uniquement quand il n'y avait pas de danger. Ses autres hommes de main - Hakim, Mini-Cerveau et Vortex - n'étaient pas bien plus intelligents que moi, mais ils étaient un peu plus courageux. À nous quatre, nous formions un drôle de quatuor sous la direction d'un Tsuan qui se distinguait par sa taille très petite pour la moyenne. Mais c'était justement là le problème : nous n'étions que quatre, et notre chef était un nez. Il ne faut donc pas s'étonner : notre petit groupe ne survécut pas bien longtemps dans la jungle qu'était notre lycée. Qu'importe, je m'étais bien amusé.
En même temps que notre groupe, j'abandonnai le nom de Masquerade. Pour moi, il s'agissait tout simplement de la fin de la violence que j'exerçais sur les autres. J'étais devenu, en même temps que plus sûr de moi, plutôt altruiste, et je trouvais tout à fait normal de ne pas me lancer dans les premiers combats venus. Non ? Mais en fait, la réalité était tout autre : sans le savoir, je flanquai la frousse à plusieurs scélérats de mon lycée, et j'en tuai même un ou deux au passage.
Dommage, je ne me souviendrai jamais de ce combat mémorable où j'affrontai un berserker deux fois plus grand que moi. La sensation que j'ai dû ressentir à ce moment-là devait être exceptionnelle, et je serais triste de l'avoir oubliée, si bien sûr je savais qui j'étais vraiment. Mais c'était vraiment... surprenant, et intemporellement magnifique. Voir nos corps se déplacer et s'entrechoquer à une vitesse dépassant l'imagination doit certainement être la plus belle chose du monde. Percevoir l'onde de choc que nos coups ont dû causer... rien que cela suffit à me donner des frissons. J'ai l'imagination assez fertile, mais je sais que jamais je ne pourrais imaginer ce que c'est. Ce serait bien en dessous de la réalité.
Le résultat du combat ? Je... je ne m'en souviens pas.
Après le lycée vint le moment de se lancer dans les études. Je dois confesser ma grande médiocrité dans ce domaine. Je suis intelligent, là n'est pas la question. Mais étudier n'est pas vraiment ma priorité. La grande question que je me pose est de savoir ce que je veux faire de ma vie. Sans savoir ce que je suis vraiment, je ne peux pas vraiment comprendre ce que j'ai envie de faire. C'est comme s'il me manquait la pièce la plus importante d'un puzzle, celle sans laquelle on ne peut pas le compléter. Le centre du motif, si vous préférez. Je ne me sentais pas spécialement attiré par la violence, et je n'aurais jamais pu faire une carrière armée, car je ne suis pas capable de me sacrifier pour autrui. Mais toutes les options que j'avais explorées jusque là ne me semblaient jamais satisfaisantes. En cours d'année, je finissais toujours par abandonner mes études, trouvant que ce n'était pas ce que j'avais exactement envie de faire. Mais cette envie, quelle était-elle, au juste ?

Aujourd'hui encore, je suis enfermé dans ce même schéma. En début d'année, je suis ravi d'avoir trouvé la discipline qui me correspondait, pour peu à peu me rendre compte que je m'étais trompé, ce qui est très frustrant. Du moment que ma partie berserker a l'occasion de s'exprimer de temps en temps, je me sens relativement bien. Et fort, surtout. Voilà des années que je ne ressens plus la peur. Plus personne ne m'embête. Aucun pervers ne me suit lorsque je rentre chez moi. Ma mère me fait encore peur, mais je la déteste désormais assez pour ne pas me sentir paralysé par celle-ci. Je n'ai peut-être pas beaucoup d'ami et on ne peut pas vraiment me faire confiance, mais c'est le cadet de mes soucis. Non, j'ai des problèmes bien plus urgent à résoudre...
Par exemple, savoir ce que vous allez faire de toutes ces informations...  
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On me connaît sous le pseudonyme Rieser, j'ai la vingtaine et j'ai connu le forum avant même son ouverture. Je suis disponible sur demande : n'hésitez pas à m'envoyer un message privé, j'y répondrai toujours.
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