Passion commune. (Lily)

Lily & Niels

Le feu ravageait la résidence, sous les yeux effrayés des badauds.
Les pompiers s'efforçait de limiter son avancée, afin que celui-ci ne se propageât pas aux bâtiments voisins. Leur travail était difficile, car les flammes, rebelles, léchaient à leur guise les vieilles pierres effritées. De nombreux craquements retentissaient à l'extérieur, mais pas de hurlements. Le bâtiment était apparemment vide, et heureusement, car les victimes seraient déjà mortes asphyxiées. C'était un incendie difficile à contrôler, fier et inconstant, qui se riait des pauvres humains et créatures humanoïdes qui s'efforçaient vainement de le maîtriser. Une force de la nature, qui serait finalement vaincue par eux, sans avoir eu le temps d'emporter avec elle quelques monstres qui se tapissaient dans l'ombre. Niels avait beau savoir tout cela, il ne pouvait détacher ses yeux de ce magnifique spectacle. Il était très certainement le seul de la foule à prier pour que le feu ne mourût pas trop vite.

Cet incendie-là, Niels s'en souvient encore. C'est sans doute le plus bel incendie qui lui ait été donné de voir de toute sa vie. Les autres, en comparaison, paraissent bien faibles. Certes, ils sont dignes d'être admirés. Toutefois, il ne ressent pas la même chose que lors de cette première fois. Il lui manque toujours quelque chose. Comme si ces autres feux n'ont pas la même puissance que le premier. Qu'ils ne sont pas aussi vivants que lui. Niels ne peut s'empêcher de ressentir un goût d'amertume sur la langue. Pourtant, il continue d'observer, se sentant toujours au mieux à proximité de ces flammes hautes et protectrices. Il pourrait tendre la main vers elles, s'y noyer. Il aime cette sensation.

Un clic le distrait du spectacle, et ses yeux se posent sur une femme.

Elle était déjà, sur le premier feu. A prendre des photographies de l'horreur qui se déroulait sous ses yeux. Niels l'avait repérée, parce qu'elle était sans doute la seule autre personne à ne pas porter la main à la bouche. Elle pouvait immortaliser le moment, sachant que personne n'allait en souffrir. Juste les propriétaires qui allaient tout perdre - mais ce genre de drames échappait complètement à Niels. Il avait noté ses cheveux sombres et le modèle de son appareil. Mais il n'avait pas observé son visage, caché derrière ce dernier.

Elle est de nouveau là, l'appareil à la main. Niels ne sait pas si elle est une photographe amatrice ou si elle travaille pour un journal, mais il est fasciné par son geste. A tel point que ses pieds avancent d'eux-mêmes, jusqu'à se trouver à côté d'elle. Elle ne le regarde pas, elle ne semble même pas consciente de sa présence. Aussi Niels se racle-t-il la gorge. « Excusez-moi... » Il attend qu'elle le remarque pour continuer : « Ce n'est pas la première fois que l'on se voit, n'est-ce-pas ? Vous étiez là-bas, ce jour-là... » Il part du principe qu'il va comprendre, ce qui est un peu trop préjuger de la mémoire de cette jeune femme. Elle ne l'a sans doute pas vu le jour de l'incendie, alors pourquoi se souviendrait-elle de lui ?

Les flammes sont immenses, ravagent l'immeuble, le détruisent. Une couleur orangée, chaude envahit tout et reflète sur les visages horrifiés des humains, des chanceux qui ne pensent qu'à feindre l'épouvante, alors que demain, tranquilles chez eux, ils ne penseront déjà plus qu'à ce qu'ils vont manger, ou à quelle heure passera ce film, cette série télévisée.

Moi, je m'en contrefiche de paraître insensible, et je mitraille cet immeuble en feu de photographies, sous tous les angles. Ce feu reflète encore une des plus grandes peurs des humains, la destruction, le chaos, l'incontrôlable. Ils ont incroyablement peur de ce qu'ils ne peuvent contrôler. Si seulement ils savaient quel monstre incontrôlable je suis . Si je leur hurlais, comme ça, devant les flammes, ils auraient peur; à supposer qu'ils m'écoutent. Ici , tout le monde me considère comme une véritable folle, une fille solitaire et étrange. Oui, je suis toujours seule mais ils ne comprendront jamais pourquoi. Ils ne sauront jamais que certaines nuits, je tue leurs proches sans un seul regret, sans une seule pensée, sans le moindre doute. Ils ne se doutent pas que j'ai peur car ils ne regardent pas mes yeux. Quel dommage. Alors je reste derrière mon appareil photo, à immortaliser les choses, pour me souvenir. Je ne le fais pour personne en ce moment, juste pour le plaisir des yeux, et la passion.

Puis, quelqu'un s'approche, je ne le remarque pas dans un premier temps, toujours fascinée par le reflet du feu dans une fenêtre, qui se brisera partout en mille morceaux dans un instant. J'entends vaguement un , "excusez-moi", mais ce n'est pas pour moi, personne ne me parle jamais. Que deviendrait alors leur réputation? Leur hiérarchie dans leur classe sociale. Mais bientôt, il se place juste à mes côtés, et brutalement, effrayée, je recule, une lueur d'angoisse totale dans les yeux. Je m'écarte, et il dit « Ce n'est pas la première fois que l'on se voit, n'est-ce-pas ? Vous étiez là-bas, ce jour-là... ». Quel jour? Où étais-je? Puis j'examine le jeune homme sous tous ses angles, il est blond décoloré, pas vraiment comme les autres, et a l'air... différent. Mais comment puis-je juger? Néanmoins , il regarde le feu avec une telle intensité dans le regard qu'il me force à essayer de me souvenir. Il doit me parler d'un incendie, quelque chose me le dit.

Alors, je plonge dans mes souvenirs. Quand je suis sous forme humaine, j'essaye de mémoriser chaque instant, chaque seconde. Car quand je suis loup, plus rien n'importe, plus aucun souvenir ne me submerge, et j'ai peur qu'à mon réveil,en plus d'être couverte de sang et pâle comme un cadavre, j'oublie tout ce que j'ai vécu. Je me rappelle bien d'un incendie, plusieurs morts, des photos, mais pas de lui. J'ose dire quelques mots: "l'incendie qui a fait des victimes? C'est celui là dont tu parles?" Je n'ai aucune idée de pourquoi je l'ai tutoyé. Peut être parce que je ne parle jamais, et que j'ai perdu le sens des phrases et des mots...

Lily & Niels

Pour lui, tout est très clair dans sa tête. Ce moment est gravé à jamais dans sa mémoire, et un détail aussi important que la présence de la jeune femme sur la scène de l'incendie ne peut être oubliée. Pourtant, il se doute bien que sa présence à lui n'est pas aussi marquante. Ce qu'il y a de plus notable chez lui, ce sont ses cheveux d'un blond platine éclatant, bien que non naturel, qui lui confère un véritable petit air de Danois stéréotypé - autrement dit, cela ne le distingue pas vraiment des autres. Sinon, il est plutôt banal, même s'il a plutôt de beaux traits. Il se prépare presque à entendre un « désolée, je ne vois pas de quoi vous parlez », quand bien même l'espoir reste le plus fort en lui. Niels est un peu trop fragile émotionnellement pour pouvoir envisager l'échec de façon sérieuse. Et heureusement pour lui, ce jour-là n'est pas un jour de malchance, car elle parle d'un incendie. Le jeune homme part du principe qu'elle se souvient de lui, même si ce n'est pas du tout ce qu'elle veut dire. Il saute à la conclusion un peu trop vite, parce qu'il entend ce qu'il veut entendre. « Oui, c'est bien moi ! Je suis honoré que vous vous souveniez de moi... » Il lui prend la main qui ne tient pas l'appareil photo et la serre vigoureusement, geste familier qui doit sans doute décontenancer la jeune femme, qui n'a en vérité aucun souvenir de lui. « Je suis si heureux de vous revoir, quand je vous ai vu photographier ces flammes, j'ai compris que vous étiez une artiste. » Selon la logique propre à Niels, bien sûr, c'est-à-dire qu'il est à présent que leurs centres d'intérêt convergent. D'ailleurs, n'est-elle pas à nouveau là pour couvrir l'événement ? C'est décidé, cette jeune femme est une amie de Niels. Qu'elle le veuille ou non.

Niels lâche la main et passe un bras autour des épaules de la jeune femme. C'est un geste auquel il n'est pas habitué, en vérité, car il a l'habitude de se méfier des autres, il est paranoïaque et ne touche personne sans y être obligé. Pourtant, elle a passé l'épreuve. Elle a gagné la confiance de Niels et ce, à quasi-jamais. La seule chose qui pourrait le faire reculer désormais, c'est qu'elle renie le feu. En dehors de cela, elle vient de se faire un allié à vie. Même si comme allié, Niels est plutôt inutile et encombrant. « Mais... le feu d'alors n'a pas fait de victimes, non ? » : demande-t-il, soudain sceptique. Niels en est sûr. Ce qui ne veut pas dire que c'est la vérité : la vision de Niels est très partiale, il voit ce qu'il veut voir. Il s'est toujours dit que non, ce n'est pas lui qui a tué son frère, pourtant c'est bien son incendie à lui, dont il se souvient parfaitement, qui a produit cet accident. Niels est du genre à vivre dans le dénis, surtout en ce qui concerne les victimes d'un incendie. Il a tendance à croire que le feu ne fait jamais de victimes innocentes et ne purifie que les monstres. Donc, même s'il y avait eu des morts, Niels n'aurait sans doute pas parlé de « victimes ». Ceux qui sont morts par le feu l'ont très certainement mérité, c'est tout ce qu'il y a à savoir.

« Oui, c'est bien moi ! Je suis honoré que vous vous souveniez de moi... » Je n'ose pas le contredire, il a l'air si... heureux. Je ne sais pas vraiment pourquoi à vrai dire, et je lui souris. Lorsqu'il me serre vigoureusement la main, j'ai un mouvement de recul, mais me laisse faire, paniquant en silence. Je pense *Lily ne te rapproche de personne, bientôt il sera sur la liste des victimes potentielles, de tes victimes potentielles* Puis, je vois à son regard qu'il pense que je l'ai reconnu ce jour là. Je ne me souviens pas de son visage, mais peut être de sa grande taille et de ses cheveux plus que blonds qui se remarquent de loin et ne sont pas habituels pour une anglaise comme moi. « Je suis si heureux de vous revoir, quand je vous ai vu photographier ces flammes, j'ai compris que vous étiez une artiste. » Après cette phrase, assez gênée je dis: "Merci beaucoup, c'est une de mes grandes passions"

A ma grande surprise, il passe un bras autour de mes épaules. Bravo Lily, voilà comment tu essayes de contrôler tes relations, voilà comment tu protèges les gens de toi, car tu es une malédiction! Cette voix résonne chaque jour dans ma tête et j'ai parfois envie de hurler pour l'étouffer. Puis le jeune homme me demande si il n'y a pas eu de victimes. Facile, je réponds très timidement, mais presque automatiquement, comme si cela est évident pour lui, oubliant qu'il est humain et moi un lycan: "non il n'y en a pas ça ne sens pas le sa...euh je... non personne n'a parlé de victimes, tout le monde a été évacué". Et voilà comment se trahir. Si quelqu'un apprenait un jour ce que je suis, que me ferait-on? Mais qui suis-je vraiment? Je ne le sais même pas. C'est surement parce que j'ignore ce que je suis que tout le monde me considère comme une fille étrange et folle. Je préfère après tout, pas de relations, c'est mieux. Mais avec le jeune homme qui a passé son bras autour de mon épaule, je crois que c'est perdu, peut être que je me suis fait un ami, je ne sais même pas vraiment ce qu'est. Je suis tout ce qu'il y a de plus timide et confuse et j'ai l'impression de rougir de plus en plus. Je ne connais même pas son prénom, et si je le tuais dans une de ses fameuses nuits? Éprouverais-je ce qu'on appelle les remords, la culpabilité? Est-ce ça que je ressens chaque matin après la pleine lune quand je m'effondre dans le sang d'un inconnu que j'ai dévoré, tué avec délice au cours de la nuit? En ce moment, je suis complètement perdue, dans ma tête tout n'est que noirceur et confusion. J'essaye de refaire surface dans la réalité et fixe le blond. Pourquoi ne pas essayer d'avoir un ami? Et puis, lui non plus n'a pas l'air innocent, à vouer une passion pour le feu. J'avoue que les flammes me fascinent, leur puissance incontrôlable me fait éprouver de l'admiration, mais j'ai le sentiment que pour lui, le feu est encore plus puissant, très spécial, et cela m'intrigue.

Lily & Niels

Pour une fois, Niels ne se sent pas effrayé, alors même qu'il parle avec une inconnue. Habituellement, il se sent mal à l'aise et se persuade aisément qu'il va se faire manger tout cru, car il n'est qu'un faible humain, mais il se sent bien à ses côtés. Il a l'impression qu'il peut lui faire confiance, car seuls les méchants sont incapables de comprendre d'où vient le Bien. Ce dernier prend la source du feu, voilà ce que pense Niels. Le feu purificateur, qui efface toute trace du péché, et ne laisse que des cendres derrière lui. Il est heureux de constater qu'elle se souvient de lui - ou du moins le pense-t-il -, il a l'impression qu'elle le reconnaît comme étant de quelqu'un d'important. Ou du moins, quelqu'un qui se distingue des autres. Il pense sincèrement l'être, parce qu'il ne voit pas pourquoi il se confondrait avec les autres. N'est-il pas un des rares humains, sur cette planète ? Ou du moins en ville. « Ma passion à moi, c'est le feu. » : admet-il avec une franchise désarmante. Il ne le dit que rarement, parce qu'il a peur qu'on s'en prenne à son ami. Pas nécessairement qu'on le juge. Le jugement des monstres n'effraie guère Niels. En revanche, qu'on s'approprie son seul ami, cela lui fait affreusement peur.

Est-ce parce qu'il a porté un bras à ses épaules que la jeune femme lui répond avec timidité ? C'est sans doute cela. Niels ne peut pas interpréter autrement son hésitation, étant totalement inconscient qu'il n'a en fait pas affaire à une humaine. Pour se faire pardonner, il s'éloigne d'elle, maintenant une distance de sécurité qu'il estime assez confortable pour ne pas la déranger davantage. « Ah. Je me disais, aussi. Aucun mort du tout. » Mais son ton froid laisse clairement entendre que, si la mort de victimes innocentes le dérangerait vraiment, l'idée de savoir quelqu'un immoler par le feu le laisse assez indifférent. Niels n'est pas très empathique, et on lui reproche souvent d'être une personne assez désagréable avec qui parler. Pour sûr, il n'est pas du genre à s'intéresser aux gens. Sauf à elle, cet artiste qui est capable de voir au-delà de ce que les yeux montrent. C'est pourquoi il l'admire, et désire en savoir plus. « Je m'appelle Niels. Et toi, quel est ton nom ? » Le patronyme de Niels passe toujours à la trappe, parce qu'il a quelques problèmes à se sentir proche de sa famille. Il sent qu'il y a comme un problème, mais il n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Sans doute est-ce dû au fait que son frère est mort, et que les circonstances de son trépas demeurent troubles. Cela le fait souffrir. D'autant plus qu'il a l'impression que, s'il savait véritablement ce qui s'était passé, il irait mal. Ce qui est ridicule : il n'a rien fait du tout, il n'est qu'une victime, dans tout cela. Sans doute est-ce sa peur des monstres qui parle pour lui. « Je suis étudiant en criminologie, alors voir des incendies possiblement criminels me fascine toujours... » Est-ce une excuse pour justifier sa présence sur chaque scène de crime ? Il est vrai que Niels ne sèche jamais les cours qui traitent d'incendiaires ou de personnalités à tendances pyromanes. En dehors de cela, il ne fréquente jamais la fac. Si elle y est étudiante, il aurait peut-être pu la rencontrer... ça faudrait le coup de savoir s'il peut la croiser sur son campus, non ?

Le jeune homme me parle de sa passion pour le feu. Cela pourrait se révéler étrange, mais allez savoir pourquoi ça me paraît parfaitement normal. J'hévite de lui faire peur, mais j'aurais bien pu répondre que ma passion à moi c'était le sang lors des pleines lunes, et notamment le sang humain,ce qui s'avère dix fois plus étrange au moins. Je lui réponds alors: "Moi je me passionne pour la photographie, et surtout le surnaturel, tout ce qui change de la vie 'normale'. Ici, il y a beaucoup de trucs bizarres. Sinon j'adore le sport et les animaux" je commençais à effectuer de plus longues phrases, mais je me sentais toujours effrayée et un poids se faisait de plus en plus oppressant sur mon coeur. Un ami? Une victime potentielle pour une future nuit. Bref, je chassais cette pensais et me dis que ma réponse n'est pas si mal. La description d'une humaine en somme banale, et un petit peu folle avec son goût pour le surnaturel -dont je fais partie-. Mais bon, j'adore le sport et les animaux. Et la photographie, c'est vrai. Donc voilà, tout est en ordre.

Il s'éloigne un petit peu de moi, je lui en suis reconnaissante et tente un bref sourire, chose que je n'ai pas faite depuis de très très longues années. Puis, d'une voix froide il me dit qu'il se doutait bien qu'il n'y avait aucune victime. Je trouve qu'entre le feu et lui, il y a quelque chose d'un petit peu étrange, une expérience commune, traumatisante. Enfin, je lui demanderais peut être, mais je ne sais pas si ça se fait entre personnes dites normales. Je soupire brièvement et quand il me dit qu'il s'appelle Niels, je suis sensée répondre en donnant mon nom. Je dis alors d'une voix assez basse et timide "Lily, 18 ans. Et toi?" Il me parle aussi de ses études: « Je suis étudiant en criminologie, alors voir des incendies possiblement criminels me fascine toujours... » Je comprends mieux, voilà le pourquoi du comment. Quoique, peut être n'est-ce qu'une excuse pour réprimer et cacher sa passion dévorante du feu aux yeux de tous. Moi, j'ai assez vite décroché mon diplôme de photographie, j'assistais juste aux cours nécessaires pour l'obtenir. Maintenant , je suis sensée suivre d'autres cours à la fac, mais je les sèche tous obstinément, je m'en fous complètement. Je sors mon briquet et allume une cigarette, et en propose une à Niels, je ne sais pas si il fume. J'aime bien jouer avec les choses dangereuses, pour la santé par exemple. ça m'apaise, me dit que la mort pourrait venir me cueillir à tout moment, pour me soulager de mon mal. Mais je crois que ça ne marche pas. Je dis alors rapidement: "j'ai eu mon diplôme de photo il y a peu, je suivais juste les cours nécessaires et depuis que je l'ai, je suis apparemment inscrite à des cours à la fac, mais jem'en fous un peu , je n'y vais pas ça me sert à rien, c'était encore une idée de ma tante avant sa mort, que je continue de bosser après avoir eu un diplôme..." Je soupire et m'assois sur la bordure du troittoir, en fermant les yeux pour profiter de ma cigarette, qui est presque finie. Je devrais arrêter avec cette saloperie, mais je n'en ai pas réellement l'envie.

Lily & Niels

Admettre que le crime le fascine n'est pas forcément évident. Mais le plus dur serait d'expliquer pour Niels a envie de comprendre comment l'on peut en venir au crime. Parce qu'il cherche à se protéger des monstres, et pour cela, la meilleure alternative reste encore de comprendre son ennemi. Enfin, telle est la théorie. Niels s'est cependant très vite rendu compte que sa conception du crime n'était pas du tout la même que celle de ses professeurs, par conséquent, sa compréhension des criminels était elle-même défaillante. Il a fini par ne plus se concentrer que sur un type de personnes : ceux qui ont une affinité avec le feu. Mais pour lui, il ne s'agit ni de criminels, ni de monstres : ils sont humains. Même ceux qui ont été contaminés par un doppelgänger : ce genre de choses finit toujours par survenir, à un moment ou à un autre. A Aarhus, tout le monde sait que ça arrive, même si le phénomène n'est pas toujours bien nommé. Il n'y a que quelqu'un comme Niels pour le nier. Non qu'il réfute totalement le surnaturel : simplement, sa vision du monde est faussée, troublée par ses propres problèmes. Niels sait que le surnaturel existe. Il ne sait simplement pas où celui-ci se situe vraiment. « Oui, le surnaturel, ce qui n'est pas normal... c'est tout à fait cela, un incendie. » : renchérit-il, une note de passion dans la voix. Niels, à chaque fois, est à la limite de l'extase. Sa fascination l'aliène presque, le fait sortir des limites faibles de la chair pour lui faire prendre conscience d'un autre monde. Niels considère le feu comme étant immatériel. Bien sûr, c'est faux ; mais à ses yeux, il s'agit de la substance même de l'esprit. Car si vous pouvez toucher à la cendre et à la braise, pouvez-vous jamais saisir le feu lui-même ? Non, les flammes se dérobent à vous, et votre main passera à travers. Pourtant, cette flamme est comme un fantôme : elle n'apprécie guère qu'on la traverse. Alors elle vous brûle. Le feu est un spectre, doté de sa propre volonté : tel est le sens de l'affirmation énigmatique de Niels. « Mais habituellement, personne ne le voit. On se contente de le prendre pour un simple élément, alors qu'il a sa propre vie. » Les quatre éléments. Eau, air, terre. Et feu. Niels réfute cette théorie. Le feu est tout. C'est sans doute une façon monomaniaque de concevoir l'univers, mais... Niels souffre d'être monomaniaque. D'être envahi par cette pensée obsédante et unique.

« J'ai vingt-deux ans. » : reprend-t-il, tout en s'étonnant de la découvrir plus jeune que lui. Est-ce parce que son innocence est celle d'un enfant, et qu'il tend à prendre les autres pour des adultes ? Ou est-ce parce que ses traits lui paraissent curieusement mûrs ? En tout cas, il a le bon goût de se taire. Il se rappelle ce qu'on lui a dit, autrefois. De ne jamais interroger une dame sur son âge. Techniquement, il ne l'a pas fait, c'est elle qui le lui a rapporté. Il peut donc l'accepter sans éprouver le moindre remords. Elle s'assoit, et Niels vient la rejoindre, consumant à son tour la cigarette qu'elle lui a proposé. Il se balade toujours avec un briquet, mais il ne fume pas. La fumée du tabac lui a toujours paru légèrement impure, non parce qu'elle renferme plein de saletés - même si cela constituerait un bon motif - mais parce qu'elle consume quelque chose qui corrompt un peu la flamme. Enfin, le genre de bêtises que l'on attendrait de la part du jeune blond. Assis à ses côtés, il se sent à l'aise. Ce n'est pas la première fois qu'il fume, et même s'il ne parvient pas totalement à l'apprécier, le tabac ne l'étouffe guère. « Je comprends, c'est nul de faire des études. J'ai toujours eu un mal fou à finir mes années... en même temps, vu mon taux d'absentéisme... » Il rit. Il se sent comme elle : nullement concerné par la nécessité d'étudier pour obtenir un travail. Elle, elle a un diplôme. Lui n'a rien de ce genre, mais ce n'est pas non plus comme s'il envisageait un avenir. Mourir jeune serait un type d'avenir qui lui irait comme un gant. « Qu'est-il arrivé à ta tante ? » : interroge-t-il avec un brin d'hésitation. Ce sujet est peut-être délicat, aussi ferait-il mieux de ne pas en parler. Ce serait comme de lui demander ce qui arriverait à son frère. Cela poserait de plus certains problèmes, vu que le jeune homme vit dans le déni. Mais... il aimerait bien savoir quand même. Curiosité bien naturelle, à présent qu'elle lui a offert une brèche dans laquelle s'engouffrer.

Il n'y a plus aucun doute, il est vraiment fasciné par le feu, mais je ne le vois pas comme un pyromane, pour moi il est assez différent. Il est admiratif, respectueux face aux flammes. Je trouve que c'est sympa d'être fasciné par un des quatre éléments comme ça. Beaucoup mieux que d'être fasciné par la drogue, en tout cas. « Mais habituellement, personne ne le voit. On se contente de le prendre pour un simple élément, alors qu'il a sa propre vie. » Je souris et le regarde "J'aime bien ta façon de voir les choses, ça change de d'habitude et des idées classiques sur le feu. " Il n'a pas l'air à l'aise avec la cigarette. Je fixe la mienne. Quelle chose malsaine; je n'en consomme pas souvent, mais j'en consomme quand même et ça, c'est pas terrible. Je la fixe avec un air de dégoût et la jette par terre, l'écrasant pour la tuer. Autant arrêter là avec les cigarettes pour aujourd'hui. Je rigole avec lui, au moins un qui comprend et qui n'a pas vraiment d'amour pour le bahut. Lui aussi il sèche. Mais quel est le mal? Si on n'aime pas les cours, on ne les retiendra pas en étant en classe, alors autant faire quelque chose d'autre, de plus utile à la place de ne rien faire dans une salle de cours.

Il me questionne sur ma tante. Je perds quelque peu mon sourire, mais réponds quand même. "Ma tante... était assez âgée. Enfin c'est une grande tante éloignée, tu vois le délire. Elle m'a un peu comme adoptée quand mes parents se sont débarrassés de moi peu après ma naissance. Alors je la considérais plus comme une grand-mère. Enfin c'est compliqué. Bref, elle partageait mon goût pour le sport, les sensations fortes, l'adrénaline à l'état pur. C'était notre drogue. Elle se passionnait pour les sports aériens. Seulement, elle est partie faire du parapente un jour, sans me prévenir, avec un groupe d'amateurs. On m'a appelé le soir, celui de mes 18 ans, pour m'annoncer sa mort. ça m'a fait un choc et ça a déclenché ... euh.. mon aversion pour le parapente. Mais bon voilà, elle me manque mais ça va. Seulement, elle avait plein de trucs à m'expliquer, et je vis seule dans sa grosse maison." ça, c'était réellement ma vie, en omettant juste un ou deux points, comme ce cher döppelganger, et ce que je suis . D'ailleurs, j'ai encore failli gaffer en disant que sa mort a déclenché ma nouvelle nature. J'ai rattrapé le coup en parlant du parapente, un bon petit mensonge un peu gênant. Mais on fait ce qu'on peut. Je pense qu'il est mieux pour Niels qu'il pense que j'ai peur du parapente, plutôt qu'il apprenne que je suis un lycan.

"Et toi, ta famille?" Question indiscrète, mais j'avais répondu à sa question, et j'étais assez curieuse maintenant.

Lily & Niels

Niels s'est persuadé qu'elle comprend sa passion pour le feu, et que, même si elle ne la partage pas au même degré que lui - ce qui est normal ; la relation entre Niels et son objet fétiche serait analogue à celle qui unit le prêtre et la divinité, une vénération pure et exclusive, qui nécessite beaucoup plus de temps que ne peut en donner le simple fidèle. C'est ainsi qu'il considère Lily : quelqu'un qui reconnaît la source de sa passion, qui la respecte et la regarde avec compréhension, sans pour autant s'y vouer pleinement. Il ne le demanderait pas à tous. Et pourtant, elle le surprend, en soulignant à quel point sa vision est singulière. Et intéressante. Cela fait sourire le jeune homme, qui manque de s'étouffer en avalant malencontreusement un peu de fumée de tabac. Il n'a décidément pas l'habitude de fumer, cela le fait tousser. Il admire presque Lily, qui semble à l'aise avec sa cigarette. « Oh, c'est vrai ? Je trouve aussi que c'est dommage que tout le monde ne le comprenne pas. » A nouveau, Niels essaie de tirer une bouffée de sa cigarette. A ce moment, Lily jette la sienne, et une expression étrange traverse son visage. Le jeune homme ne sait pas trop quoi en passer. Il éloigne sa clope de ses lèvres et la laisse reposer entre ses doigts, un peu de cendre tombant au sol - rien pour faire office de cendrier dans les environs, et le Danois n'a pas le réflexe de chercher quelque chose qui pourrait remplir ce rôle. Mais il ne compte plus la porter à la bouche. Il ne craint plus le ridicule, à présent que Lily a cessé de fumer.

Elle lui raconte donc l'histoire de sa tante, et Niels l'écoute avec attention, ne prenant pas du tout note de l'hésitation qui fait trembler sa voix lorsqu'elle évoque les causes de la mort de la tante. Niels n'a pas un esprit critique suffisamment développé pour être capable de se méfier de quelqu'un dont il a parfaitement conscience. A partir du moment où il accepte de parler à cette personne, le paranoïaque tait ses doutes, et refuse de croire que la personne en face de lui puisse ne pas lui raconter la vérité. Et puis, quelle raison aurait-elle de lui mentir ? Pas plus que lui n'en a de mentir sur sa propre famille, quand elle lui pose la question en retour. Bien sûr, Niels raconte une vérité faussée. Celle qu'il pense être véridique. Mais elle n'est que le reflet de son esprit, une façon de se calmer, en vivant dans le déni : ainsi, il s'épargne toute culpabilité, et peut donc faire son deuil de façon, non plus facile, mais plus tranquille. Bien sûr, le manque le fait souffrir ; bien sûr, le feu de la vengeance brûle dans son cœur. Du moins est-il encore capable de se regarder dans le miroir, c'est déjà une bonne chose. « J'avais un frère, autrefois, mais il est mort. Il a tué par de jeunes voyous, je ne sais pas trop ce qu'ils lui voulaient, mais y a-t-il une raison derrière chaque acte ? Le crime était gratuit, et les coupables n'ont jamais été arrêtés. J'ignore jusqu'à leur identité. » En racontant ce mensonge, Niels est si convaincu qu'il passerait l'épreuve du détecteur de mensonge sans problème. Il est certain de ne pas se tromper, d'être parfaitement sincère. Et il vaut mieux qu'il en soit ainsi : le jour où Niels prendra conscience du problème, il s'effondrera certainement. La jeune femme a-t-elle conscience de la fragilité de Niels ? du fait qu'il marche chaque jour au bord du gouffre, prêt à sombrer si la moindre brise vient à lui rappeler ce qu'il a fait ? Un esprit sur le point de se briser : voilà ce qu'est Niels. Il est destiné à devenir un doppelgänger, un jour.

Il se relève, la cigarette toujours à la main, mais c'est comme s'il l'avait oubliée. L'incendie sur lequel il a posé ses yeux est quasiment éteint, maîtrisé par les pompiers qui se sont efforcés de limiter sa propagation. Niels soupire. Il n'a plus rien à faire ici, désormais ; les feux mourants lui brisent le cœur. Il adresse un dernier sourire à Lily, sourire sincère, avant d'agiter la main en guise d'au revoir. « Et c'est ici que nos chemins se quittent. Je ne saurais en supporter davantage. » Il désigne du doigt la bâtisse qui n'a plus du tout le même aspect qu'auparavant. Tout est devenu noir. Très noir. La couleur du fond de l'univers, le vide ultime - comment s'étonner de la fascination de Niels, quand cela produit une telle couleur ? « Je vais reprendre ma route. Mais on se reverra, je n'en doute pas. J'espère pouvoir voir de tes photos, un jour. » Et il commence à s'éloigner d'elle, sans lui accorder son attention, mais sans l'oublier non plus. Cette rencontre-là restera à jamais gravée dans son cœur.

Oui, décidément il se passionne pour le feu, ça le distingue des autres humains. Je me promets de découvrir à quel point il l'admire, et de comprendre un peu mieux cette passion qui l'anime. Puis, rapidement, il enchaîne sur l'histoire de son frère , de sa famille.
« J'avais un frère, autrefois, mais il est mort. Il a tué par de jeunes voyous, je ne sais pas trop ce qu'ils lui voulaient, mais y a-t-il une raison derrière chaque acte ? Le crime était gratuit, et les coupables n'ont jamais été arrêtés. J'ignore jusqu'à leur identité. »

Je le dévisage, presque choquée en m'interrogeant sur la nature du crime banale ou bien... non pas ça! Qui pourrait bien faire ça? Non... ce ne pourrait être... Et pourtant, on omet trop vite les faits surnaturels , pourtant il se pourrait que ce soit cela; et si c'était moi? Je me mets à réfléchir. Voilà pourquoi je ne dois être amie avec personne, soit je leur fais du mal, soit je leur en fait indirectement. Mais là, coupables inconnus... espérons que ce ne soit pas moi. Oui, espérons-le très fort.

Puis , le moment où il doit partir arrive, l'incendie est arrivé à son terme. Voir le feu s'éteindre pour lui doit surement être un déchirement. Je lui souris et dit "Oui, à bientôt, je te montrerais toutes les photos de feu que j'ai."

Tranquillement, je me relève et part dans le sens opposé, déambulant dans les rues, libre et sans peur.

Roulement de tambours... the end!